couv45761028.jpg

D’aucuns disent que « Le Nœud de vipères » est le chef-d’œuvre de François Mauriac. Si, dans le cadre de ces quelques lignes, nous pourrions nous permettre d’émettre un avis, nous disconviendrions, car « Le Désert de l’amour » nous a particulièrement touché de par son histoire qui est celle d’un père et d’un fils qui convoitent la même femme. Et la scène finale, sur la plateforme à l’arrière d’un tramway, n’en est pas la moins bouleversante.

« Le Nœud de vipères » reste cependant une œuvre riche, complexe, foisonnante.

Riche malgré son sujet qui est au fond assez commun (cardiaque, un vieil avocat pénaliste attend la mort dans sa propriété de Calèse, en Gironde. Durant cette attente il écrit une confession à l’attention de sa femme, Isa, et épie sa famille qui envisage de faire main basse sur l’héritage). Riche car cette œuvre ne se contente pas des apparences, elle « creuse » (l’emploi de ce verbe est inélégant, nous le concédons). Richesse des sentiments : Louis veut déshériter sa famille et avantager un garçon pour lequel il éprouve un attachement paternel (Luc) et un fils naturel (Robert), à la fin du roman il recueille Janine, sa petite-fille, que son fiancé Phili vient de quitter pour une autre. Cet homme que sa famille juge calculateur est donc capable de se prendre d’affection pour ses semblables et d’éprouver de la déception quant à l’attitude de Robert vis-à-vis de son statut d’héritier. Riche parce qu’il expose que la haine (celle de Louis à l’endroit de sa famille spoliatrice) ne saurait être pérenne : après avoir éventé le complot ourdi contre lui par celle-ci et Robert, il consent tout de même (de guerre lasse ?) à procéder au partage ; à la fin du livre il prend la défense de Phili. Richesse de la composition : la narration sous forme de confession laïque est originale (la référence à Dieu n’intervient qu’à la fin du roman, pourtant la relation de la bassesse des sentiments d’un homme impliquerait la présence d’un prêtre, surtout à la fin de sa vie, et Isa n’a rien d’une figure religieuse). Mais justement cette confession n’est-elle pas un appel à l’Être Divin ? (voir la fin du roman, page 205). Riche enfin des errances de Louis entre Calèse, Bordeaux et Paris qui rendent si bien l’état de confusion mentale de l’avocat qui se débat pour régler au mieux ses affaires.

Complexité sous la simplicité de l’argument : les êtres ne sont pas ce qu’ils donnent à voir. Nous l’avons dit Louis est capable d’humanité : le souvenir de Marie, sa fille morte, le hante et le vénal Phili, quant à lui, quitte Janine pour une professeure de chant sans fortune (page 208).
Foisonnement enfin qui procède de ce qui ne peut être, selon nous, qu’un talent d’écrivain surnaturel : cette capacité à décrire les choses de la nature, cette attention aux éléments qui révèle une sensibilité profonde (début du chapitre 18, page 196). Tout ceci encorseté dans une rédaction servie par une ponctuation aérienne.
Nous l’avons dit, « Le Nœud de vipères » n’est pas notre roman préféré de François Mauriac mais l’épithète de « chef-d’œuvre » n’est, nous le concédons, pas galvaudée.

Pascal POIPY